Autrefois, je m'appelais Leyla.
J'étais une druidesse. J'étais grande, et gracile. Mon visage d'albâtre était rehaussé de fins sourcils parfaitement dessinés.
Mes longs cheveux blancs noués négligemment se mouvaient avec élégance comme pour rappeler au bon souvenir des ethnies de l'Alliance, la nature des attributs qu'octroient la race des elfes.
La beauté.
Une beauté, certes. Mais une beauté sauvage, sans nul artifice.
Je me souviens de ces journées ensoleillées, où je fendais l'air frais de la forêt, à califourchon sur mon tigre sabre de nuit.
Je m'enivrais des histoires que la Nature me contait, tandis que je caressais l'écorce d'arbres centenaires dont je ne pouvais percevoir le sommet.
Pendant ces instants de parfaite communion avec notre Mère, je fermais les yeux et ouvrais mes sens à la vie dont est fait notre monde.
Je distinguais les cris des oiseaux qui pépiaient ça et là.
La course effrénée d'un écureuil qui saute de branches en branches.
Le frémissement des feuilles qui s'envolent dans un ballet mortuaire.
Les craquement des branchages sous le pas d'un animal solitaire.
J'accédais à une conscience dont seuls les druides peuvent prétendre.
La conscience de la vie, ce don de la Nature, ce pour quoi nous nous battons tous les jours.
C'est pour cette raison que je ne l'ai pas senti approcher.
Comment aurais-je pu ressentir l'étincelle de vie qui anime les morts-vivants, véritable abomination à notre Mère Nature ?
Douce ironie.
Une étrange sensation m'arracha à ma transe. J'eus l'impression de sentir sur mon visage un souffle qui n'en était pas un.
Mais lorsque je compris de quoi il s'agissait, il était trop tard.
Mes yeux s'ouvrirent sur un 'visage' tordu par un rictus abominable.
Je n'eus pas le temps de crier.
Le corps de mon agresseur semblait basculer sur le côté, jusqu'au moment où je réalisais que c'était en réalité ma tête qui quittait mes épaules, dans un craquement sec ponctué d'un geyser de sang noirâtre.
Elle tomba au sol dans un bruit sourd. Mon corps s'écroula à genoux peu après, comme s'il adressait une ultime supplique au guerrier qui lui faisait face.
Leyla n'était plus... mes paupières se fermèrent une dernière fois sous ma chevelure maculée de sang poisseux.
Mon joli teint d'albâtre n'était plus que celui d'une poupée de cire, désarticulée et brisée en morceaux.
"Réveilles toi !"
"Réveilles toi !"
"Viens à nous !"
Cette voix m'appelle... laissez moi mourir en paix...
"Réveilles toi !"
Encore cette voix ! Mais que se passe-t-il ?
J'ouvre péniblement les yeux, qui me brûlent comme de l'acide. Je joins machinalement mes mains à mon visage, lorsque je réalise que j'ai été décapitée.
Mes yeux sont en train de fondre. Comme des oeufs pourris, ils s'échappent de mes globes oculaires dans un chuintement bouillonnant.
Je sens également la peau de mon visage se liquéfier, pour se ratatiner mollement sur le sol.
Je sais que j'ai quitté la forêt, mais où suis-je ? Angoissée, je regarde tout autour de moi : des pierres tombales fracassées et des caveaux à perte de vue.
Je suis étonnée de ne pas être aveugle ; avec horreur, je crois comprendre ce qu'il m'arrive.
Un déchirement affreux me sort de ma torpeur : mes os sont en train de sortir de sous ma peau rèche, faisant claquer muscles et tendons dans une sinistre explosion sonore.
A ma grande stupéfaction, je hurle de douleur. Ne devrais-je pas souffrir ? Ne suis-je pas déjà morte ?
Comme si elle avait lu dans mes pensées, la voix me répond :
"Non, tu n'est pas morte. Tu est désormais une morte vivante. A partir de ce jour, tu serviras la cause de la Horde, et avant que tu ne poses la question, je te rappelle que tu n'as pas le choix. Nous t'avons fait don d'une seconde vie certes, mais en échange tu devras renoncer à ton nom et tout ce que cela implique. Dorénavant, tu ne répondras plus qu'au nom de Elynehil. Il n'y a jamais eu de passé. C'est ici et maintenant que tu est née, chasseresse..."
Enfin, le titulaire de la voix caverneuse fait son apparition dans la pénombre.
C'est celle d'une chauve-souris pestiférée, qui répond au nom de Kangaxx.
Le temps de rassembler les morceaux épars de mon corps, je renonce définitivement à mon nom.
Dès cet instant, Kangaxx, qui m'a éveillée à ma destinée ne me quittera plus.
Je me hisse sur mes frèles jambes, et porte la main en visière à ce qu'il reste de mes yeux : deux trous béants insondables.
C'est Fossoyeuse que j'aperçois au loin.
Je rentre chez moi.